Lorsque j’ai rencontré Marshall Rosenberg, le créateur de la Communication NonViolente (CNV), j’ai découvert deux clés qui ont changé ma vie.
La première est que nous sommes responsables de nos émotions et de la façon dont nous réagissons aux circonstances. Lorsque nous sommes joyeux, triste, ou frustré, ce qu’a dit ou fait notre interlocuteur peut être un stimulus à ce que nous ressentons sans pour autant en être la cause. Le corollaire à cela, qui se conçoit généralement plus aisément, est que nous ne sommes pas responsables des émotions des autres.
La deuxième est que les émotions que nous ressentons sont des indicateurs de nos besoins humains essentiels, tels qu’identifiés par Abraham Maslow. Lorsque nos besoins sont satisfaits, nous ressentons une émotion agréable. Lorsqu’ils ne sont pas satisfaits nous ressentons une émotion moins agréable.
Le processus de Communication NonViolente[1] développé par Marshall Rosenberg met la connexion aux besoins humains universels au cœur de la relation à soi et aux autres. L’accueil des émotions est un point de départ pour se connecter à nos besoins et à ceux des autres, dans des relations authentiques et bienveillantes en vue de trouver des solutions mutuellement satisfaisantes. Tout est dit. Le plus difficile est dans la pratique.
Être conscient des pensées qui affectent les émotions
L’émotion est une réaction physiologique spontanée, plus ou moins fugace à une stimulation extérieure. Par exemple, vous êtes dans votre voiture, et recherchez votre chemin dans une ville inconnue. Le conducteur de la voiture de derrière approche dangereusement son véhicule et klaxonne. Un coup d’œil à votre rétroviseur vous fait découvrir son visage renfrogné et ses gestes agités. Vous sentez votre cœur battre plus fort, vos mains devenir moites et vos mâchoires se serrer. Vous ressentez l’envie de lui lancer une insulte pour ventiler la tension que la décharge d’adrénaline a fait monter en vous. Heureusement le conducteur déboite et fait ronfler son moteur en vous doublant. Vous revenez à vous. Après vous être recentré sur votre intention d’arriver serein à votre rendez-vous, vous vous dites que cette personne était certainement pressée. Vous ouvrez la fenêtre pour respirer et faire redescendre la température de votre corps. Votre rythme cardiaque diminue pendant que vous arrivez à votre rendez-vous.
Lorsqu’un état émotionnel est entretenu non plus par un stimulus extérieur mais par des pensées, un discours intérieur, voire des ruminations, l’émotion peut se transformer en un état affectif durable. Imaginons dans l’exemple précédent que vous entreteniez la pensée que tous les conducteurs de cette région conduisent vraiment comme des fous. Vous en prenez pour preuve l’épisode que vous venez de vivre ! Votre cerveau, par association, fait remonter à votre mémoire des épisodes vécus similaires pour vous conforter dans cette opinion. Renforcé dans votre « indignation légitime », vous préparez déjà l’histoire que vous allez raconter à vos amis. Pendant ce temps, en entretenant des pensées négatives, vous maintenez un taux élevé d’adrénaline et de cortisol dans votre sang. La tension dans votre corps s’installe. Vos mâchoires demeurent serrées. Et c’est nerveusement que vous fermez la porte de votre véhicule après vous y être pris à plusieurs reprises pour vous garer.
Se connecter aux besoins sous-jacents
Selon Marshall Rosenberg, « Au cœur de toute colère, il y a un besoin insatisfait. La colère peut être très utile si nous l’utilisons comme un signal d’alarme : elle nous permet de prendre conscience qu’il y a chez nous un besoin insatisfait […]. Exprimer complètement notre colère requiert la capacité d’être pleinement conscients de nos besoins. […] Au lieu de céder à l’indignation légitime, mieux vaut donc considérer avec empathie nos propres besoins ou ceux d’autrui. Cela ne se fait certes pas du jour au lendemain, mais on y parvient à force de remplacer systématiquement l’expression « Je suis en colère parce qu’ils… » par : « Je suis en colère parce que j’ai besoin de… » ».
L’épisode fictif ci-dessus illustre bien les deux clés de la communication non violente. Dans cet exemple vous êtes responsable de l’état émotionnel entretenu par vos pensées, dans un cas comme dans l’autre, et vous n’êtes pas responsable de l’état émotionnel du conducteur de derrière. En effet dans cette même situation, un autre conducteur aurait pu montrer plus de patience et de bienveillance, ce qui est peut-être ce dont vous auriez eu besoin.
Dans une situation comme celle-ci, prendre quelques minutes pour vous connecter à vos besoins, dans ce cas de bienveillance et de sérénité, vous permettrait de revenir à un état émotionnel calme et de vous sentir pleinement disponible pour votre rendez-vous.
La capacité à reconnaître et à gérer ses émotions et ses besoins est une des dimensions de l’intelligence émotionnelle, décrite par Daniel Goleman à la fin des années 90. Aujourd’hui plus que jamais, ces capacités font parties intégrantes des compétences clés des leaders.
Désamorcer l’escalade du conflit
Dans les relations interpersonnelles ou au sein d’un collectif, l’accueil des émotions et des besoins est tout aussi important. Lorsqu’elles ne sont pas écoutées, les émotions peuvent s’intensifier, polariser les relations et générer un phénomène de contagion au sein d’un collectif, notamment lorsqu’elles sont liées à un besoin de sécurité.
Ainsi, dans le cas d’une restructuration d’entreprise, une simple inquiétude des collaborateurs liée à un besoin de clarté et de visibilité sur leur avenir peut se transformer en anxiété et affecter le climat social si aucune information claire n’est apportée dans les temps ; un doute lié à un besoin de sens peut se transformer en méfiance si l’intention de la hiérarchie n’est pas clairement présentées et si les actions ne paraissent pas cohérentes avec le discours ; une frustration liée à un besoin de reconnaissance peut se transformer en ressentiment et en colère si une situation perçue comme inéquitable perdure.
Pour instaurer ou restaurer une relation de confiance, il importe donc de reconnaître les émotions lorsqu’elles émergent et de prendre en compte les besoins des parties en présence pour rechercher des solutions mutuellement satisfaisantes.
Prévenir ou désamorcer un différend, cela commence par nous. Marshall Rosenberg appelait affectueusement Chacal la partie de nous qui émet des jugements, sur nous-même ou sur les autres. Or, derrière chacun de nos jugements, il y a des besoins non satisfaits. Accueillir ses propres jugements avec curiosité, nous permet de contacter nos besoins avec authenticité, et d’ouvrir un espace de disponibilité et de créativité pour rechercher des solutions.
A contrario, si nous entrons dans une conversation sans avoir accueilli et transformé nos propres jugements, ceux-ci vont teinter notre intervention. Il est probable alors que notre interlocuteur entende nos jugements au-delà de nos mots et que la relation se polarise autour des positions de chacun.
Afin de prévenir ou de résoudre un différend, le processus de communication non violente peut servir de fondement aux démarches de négociation et de médiation dès les premiers stades du conflit, selon le modèle élaboré par Friedrich Glasl.
Renforcer la résilience
Notre capacité à réguler émotions et besoins est également un des piliers de notre résilience et de notre discernement pour prendre de bonnes décisions. Les travaux en épigénétique ont en effet montré que la qualité de nos relations familiales, amicales et sociales est un des cinq domaines qui ont un impact concret sur notre santé.
La bonne nouvelle est que l’intelligence émotionnelle s’apprend et se renforce avec la pratique, comme toute activité ! Il appartient donc à chacun de pratiquer cette hygiène relationnelle à soi et à l’autre.
Pour aller plus loin
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Sylvie-Nuria Noguer, coach professionnelle certifiée, médiatrice et facilitatrice, formée en CNV depuis plus de 20 ans.
[1] Rosenberg, Marshall, Les mots sont des fenêtres ou bien ce sont des murs, La Découverte (2016)
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